LSE Institute of Global Policy
La Crise de confiance
Yann Algan
Professeur d’économie et Doyen de l’École d’affaires publiques, Sciences Po

L’essor des forces antisystèmes et populistes témoigne d’une profonde crise de confiance des citoyens à l’égard de leurs institutions et de leurs concitoyens, comme nous le montrons dans notre nouveau livre Les origines du populisme (avec D. Cohen, E. Beasley, M. Foucault).

Le vote pour les partis antisystèmes est alimenté avant tout par une nette détérioration de la confiance des citoyens envers leurs institutions, les experts et les élites sur les trois dernières décennies. Selon le World Values Survey, la part des individus qui n’a pas confiance en son Parlement est passée de 47% à 77% aux États-Unis, de 37% à 64% en France, et de 60% à 77% au Royaume-Uni depuis le début des années 80.

Deux mains tremblantes devant une ville
Le vote pour les partis antisystèmes est alimenté avant tout par une nette détérioration de la confiance des citoyens envers leurs institutions, les experts et les élites sur les trois dernières décennies. Selon le World Values Survey, la part des individus qui n’a pas confiance en son Parlement est passé de 47% à 77% aux États-Unis, de 37% à 64% en France, et de 60% à 77% au Royaume-Uni depuis le début des années 80.
L’érosion de la confiance dans les institutions semble étroitement liée à la détérioration de la qualité de vie des classes moyennes et inférieures, frappées par l’insécurité économique et les inégalités croissantes, en particulier depuis la crise économique de 2008. La crise financière a provoqué un ressentiment immense à l’égard des partis traditionnels, jugés incapables de protéger les classes populaires des turbulences du capitalisme contemporain. Au-delà de la crise financière, l’incapacité des gouvernements et des institutions à protéger les populations d’autres risques structurels tels que l’accroissement des inégalités, la mondialisation ou la transition numérique, a nourri la défiance. Par exemple, dans une série d’articles qui analysent le « China shock », David Autor et ses co-auteurs mettent en évidence les effets de la mondialisation sur la destruction de l’emploi dans les bastions industriels américains, menant à un fort ressentiment à l’égard des institutions ainsi qu’à une radicalisation politique. La révolution numérique et l’accroissement des inégalités ont eu un effet similaire en Europe et aux États-Unis.

Mais la montée des forces antisystèmes nous indique un autre élément relatif à la confiance : elle renvoie au sentiment de solitude des individus, et plus généralement à la dégradation des liens avec les autres. C’est là qu’une autre dimension essentielle de la confiance est à l’œuvre : la confiance en autrui. Cette crise de défiance semble être également liée à une crise civilisationnelle : l’émergence d’une société d’individus isolés dans notre monde post-industriel. La société industrielle et le modèle fordiste étaient basés sur des entreprises qui organisaient la socialisation des travailleurs au sein de l’entreprise, notamment par la présence de puissants syndicats. La société post-industrielle a démoli cette structure d’espaces communs : le développement des services et de nouvelles méthodes de travail se sont assortis d’un isolement social plus important. Ce même isolement est à l’œuvre sur nos territoires. Expulsés des villes et des grandes métropoles, les classes moyennes et inférieures sont surreprésentées dans les ensembles intermédiaires où les services de proximité, que ce soit des services publics ou des boulangeries, se sont effondrés. Pour paraphraser Hannah Arendt dans Les origines du totalitarisme, nous sommes passés d’une société de classe à une société d’individus, et non pas à une société de masse. Dans la société post-industrielle, la confiance interpersonnelle est ce qui reste aux individus pour pouvoir pour développer un projet social commun. Il est donc urgent d’adopter des politiques en vue de rétablir la confiance.

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